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Photo du rédacteurJuan Carlos León-Aguirre

Distributions irrégulières aux associés: les discrètes évolutions de la jurisprudence

1.- Thématique récurrente du contentieux fiscal, la question des revenus réputés distribués aux associés a récemment fait l’objet de plusieurs évolutions discrètes, mais non moins intéressantes, dans la jurisprudence du Conseil d’État.



2.- En ce qui concerne tout d’abord les sommes non prélevées sur les bénéfices (CGI, art. 109, 1, 2°), on sait que, pour être taxées entre les mains des associés, l’administration doit rapporter la preuve de leur mise à disposition (V. par ex. CE, 19 mai 2022, n°446787).


De jurisprudence constante, cette preuve est présumée rapportée lorsque les sommes réputées distribuées ont été portées au crédit d’un compte courant d’associé (V. par ex. CE, 14 juin 2017, n°396930, Sauner : RJF 10/17 n°943, concl. V. Daumas ; CE, 13 novembre 2020, n°436792, Pouget : Dr. fisc. 2021, n°27, comm. 308 , concl. L. Cytermann ; CE, 28 mars 2022, n°444025).


Et pour cause : l’une des caractéristiques essentielles de ce type de comptes est précisément de permettre à son titulaire d'en appréhender librement le solde créditeur, sauf convention contraire.


Toutefois, en principe, cette présomption ne joue pas en l’absence de disponibilités suffisantes au sein de la société présumée distributrice.


Et jusqu’ici, force est d'admettre que la jurisprudence était assez claire sur ce point : l’absence de trésorerie (CE, 3 juillet 1985, n°47921, Labonde, aux t. sur ce point : RJF 10/85 n°1249.- Pour unea application a contrario v. aussi CE, 13 juillet 2011, n°313541, Lotz : RJF 12/11 n°1295 ; BDCF 12/11 n° 137, concl. J. Boucher), l’existence d’un passif important ou le caractère déficitaire de la société présumée distributrice (CE, 3 mai 1993, n°81447, Villemagne, aux t. sur ce point : RJF 6/93 n°823) … cet ensemble d’indices suffisait à renverser la présomption de disponibilité qui pèse sur les sommes qui ont été portées au crédit d’un compte courant d’associé.


Par une décision du 29 juin dernier, le Conseil d’État paraît cependant avoir subtilement ajusté son approche (CE, 28 septembre 2022, n°446858, Ott, concl. C. Guibé).


Dans cette affaire, la cour administrative d’appel de Nancy a jugé en substance que, nonobstant l’absence de disponibilités suffisantes sur les comptes de la société qui était au demeurant déficitaire, l’actif net de cette dernière ne rendait pas impossible tout prélèvement de la part de l’associé, imposé sur le fondement de l’article 190,1-2°.


Par une décision rendue en chambre jugeant seule, le Conseil d’État a cependant censuré la cour pour ne pas avoir recherché si les éléments qui composaient l’actif net de la société avaient un caractère suffisamment liquide.


A priori favorable au contribuable , cette décision est cependant à double tranchant, car elle a conduit le Conseil d'État à valider sur son principe la solution retenue par la cour administrative d’appel de Nancy.

Si cette analyse devait être la bonne, cela voudrait dire que, désormais, l’absence de liquidités au sein de la société ne constitue plus une circonstance suffisante pour renverser la présomption de disponibilité des sommes portées au crédit d'un compte courant d'associé.


La question se pose alors de savoir quels sont les actifs qui pourraient être considérés comme étant «suffisamment liquides» au sens de cette jurisprudence.


À suivre les conclusions rendues par Céline Guibé dans cette affaire, l'actif immobilisé ne devrait pas pouvoir être pris en compte pour apprécier la capacité de la société à mobiliser des sommes d'argent au bénéfice de ses associées.


Reste alors les éléments de l'actif circulant, parmi lesquels les valeurs mobilières de placement, qui ont été expressément visées par la rapporteure publique.

En dehors de ces quelques éléments, cependant, rien ne permet d'anticiper quelle sera la portée exacte de l'approche renouvelée du Conseil d'État.


Sans doute, ce dernier aura l'occasion de revenir rapidement sur sa jurisprudence, afin de donner une feuille de route aux contribuables.


Seulement, la notion d' «actif suffisamment liquide» se prête peut-être mal à une systématisation et on peut craindre que le contentieux en la matière puisse devenir pour le moins casuistique.


3.- En ce qui concerne cette fois les sommes mises à la disposition des associés à titre d'avances, de prêts ou d'acomptes (CGI, art. 111, a), il est jugé, comme sur le terrain de l'article 109, que l'administration doit rapporter la preuve d'une mise à disposition au bénéfice des associés pour soumettre à l'impôt ces derniers.


Or, pour la mise en œuvre de l’article 109, 1-2°, il a été jugé récemment que, pour rapporter cette preuve, l’administration ne pouvait pas se borner à faire valoir que l'associé soumis à l'impôt avait la qualité de maître de l’affaire (CE 2020 n°433827, Giraud).


Dans ses conclusions, Romain Victor a justifié cette solution par le fait que la présomption attachée à la qualité de maître de l’affaire a essentiellement pour objet de permettre à l’administration de contourner l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de connaître l’identité du bénéficiaire effectif des sommes, cette impossibilité n’existant pas lorsque, par hypothèse, les distributions ont bénéficié à des associés.


La logique qui sous-tend cette approche pouvait donc laisser espérer un élargissement de la jurisprudence Giraud à l’ensemble des cas visés par l’art. 111-a.

Par une décision de non-admission, le Conseil d’État vient cependant de juger le contraire, dans un cas, il est vrai, où les sommes taxées avaient été portées au crédit d’un compte courant d’associé non nominatif (CE, na, 27 octobre 2022, n°462301, Ozogur, concl. C. Guibé).


Le Conseil d’État a ainsi validé une cour administrative d'appel pour avoir jugé que «si, en principe, la qualité de maître de l'affaire est sans incidence sur la détermination du bénéficiaire des revenus distribués lorsque l'administration fiscale fait usage des dispositions du a de l'article 111 du code général des impôts, tel n'est pas le cas lorsque le compte courant d'associés ne présente pas un caractère nominatif» et que «dans un tel cas de figure, la qualité de seul maître de l'affaire permet de regarder le contribuable comme seul bénéficiaire des revenus réputés distribués» (CAA Nantes, 14 janvier 2022, n°20NT00345).


La configuration particulière de cette affaire s'est très certainement avérée déterminante – encore que l'on puisse sérieusement douter du bienfondé de la solution retenue, dans la mesure où l'administration disposait a priori de toutes les cartes nécessaires pour identifier, au prix de quelques investigations, le bénéficiaire effectif des sommes en litige, et ce, nonobstant le caractère non nominatif du compte courant d'associé.


Toutefois, l’absence de toute motivation dans la décision de non-admission du Conseil d’État laisse nécessairement planer le doute quant à l’état actuel du droit car, si la cour a bien pris soin de limiter sa décision au cas particulier des comptes non nominatifs, Céline Guibé semble quant à elle avoir voulu lui conférer une portée générale.

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