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Photo du rédacteurJuan Carlos León-Aguirre

Bâtiments impropres à tout usage: histoire d'une mystification opiniâtre


Fiscalité bâtiment en ruine ou en cours de rénovation

1.- Un bâtiment a-t-il nécessairement le caractère d'une «propriété bâtie» sur le plan fiscal ?


Répondant pour la première fois à cette question, le Conseil d'État a jugé en 1907 que la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) ne pouvait pas être exigée au titre d'un bâtiment devenu inhabitable (CE, 20 déc. 1907, n° 25596, Denfer).


Toutefois, si le principe dégagé a cette occasion a par la suite été rappelé à plusieurs reprises (v. par ex. la décision min. c/ Gibergues), seule une décision de 1910 en a fait une application positive conduisant au dégrèvement des impositions mises à la charge du contribuable (CE, 4 août 1910, n°36262, Tuillé).



2.- Ce courant jurisprudentiel aurait donc pu tomber en désuétude, si au cours de l'année 2015, le Conseil d'État n'en avait pas élargi le champ d'application par une décision SCI Royot, en vertu de laquelle un immeuble à usage industriel ou commercial devenu impropre à toute utilisation dans son ensemble, car délabré et en ruine, n'a pas la nature d'une propriété bâtie soumise à la TFPB en application de l'article 1380 du CGI.


Le même jour, une décision SCI La Haie de Roses exclura également du champ de la taxe un immeuble devenu impropre à tout usage du fait d'une démolition partielle ayant affecté le gros œuvre.



3.- Compte tenu de la mise en œuvre particulièrement restrictive dont ces principes ont fait l'objet, on peut cependant se demander si leur consécration en 2015 était véritablement opportune, comme l'illustre la décision Sté La Mondiale (CE (na), 16 déc. 2020, n°441914 : non-admission du pourvoi dirigé à l'encontre du jugement n°1701496/1710131 rendu le 20 mai 2020 par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise).


Dans cette affaire, le tribunal s’était fondé sur la présence d'aménagements provisoires destinés aux intervenants du chantier, ainsi que sur la présence de deux bureaux témoins, pour juger que les immeubles en cours de rénovation dont la requérante était propriétaire n’avaient pas été rendus impropres à toute usage au cours des travaux.


Au regard de tels motifs, on notera tout d’abord que le code du travail exige la mise en place d'un certain nombre d'aménagements au sein des chantiers de construction, de rénovation ou de démolition (cf. Circulaire DRT n°96-5 du 10 avr. 1996), dont notamment :


- «Un raccordement à des réseaux de distribution d'eau potable et d'électricité, [ainsi qu'à] une évacuation des matières usées», en ce qui concerne les chantiers dont le montant des travaux excède les 760 000 € (C. trav., art. R. 4533-1) ;


- Ou encore «[des] installations sanitaires, [des] vestiaires collectifs et [des] locaux de restauration», s'agissant de chantiers faisant appel à «des entreprises extérieures» (C. trav. art. R. 4511-1).


Un immeuble qui a vu l'essentiel de son gros œuvre démoli, et au sein duquel le hors d'eau et le hors d'air n'est pas assuré, devra donc être pourvu des aménagements exigés par le code du travail, même dans l'hypothèse où ce bâtiment est manifestement insusceptible d'accueillir une activité aussi sommaire que l'activité de stockage, laquelle a été érigée en modèle de référence par les rapporteurs publics près du Conseil d'État pour justifier l'assujettissement du bâti à la TFPB.


Au regard notamment du principe de réalisme, on aurait donc pu douter que la présence de sanitaires ou de casiers au sein d'un chantier soit de nature à exclure la qualification de «propriété non bâtie».


Dans le même ordre d'idées, on peut douter que l'aménagement d'un ou plusieurs bureaux témoins - lesquels ne sont pas nécessairement opérationnels, puisqu’il s’agit ici, avant tout, d’un procédé commercial dont le seul but est de permettre au client de se projeter - soit de nature à justifier qu'un complexe immobilier ne soit pas regardé, dans son ensemble, comme étant impropre à un usage quelconque.


Le Conseil d'État en a cependant décidé autrement, en refusant d'admettre le pourvoi dirigé à l'encontre du jugement n°1701496/1710131 précité.


La décision La Mondiale n'est pas restée isolée.


Ainsi, pour conclure à la non-admission d'un pourvoi récemment introduit, Karin Ciavaldini a par exemple mis en avant, dans le même esprit que la décision commentée, le fait «que la toiture du bâtiment [considéré] n’a[vait] pas été intégralement démolie et que des poutres ou colonnes porteuses [avaient] été conservées ... en raison du classement du bâtiment comme "bâtiment remarquable à caractère patrimonial" par le PLU» (K. Ciavaldini, concl. ss CE (na), 16 juill. 2021, n°449661 : RJF 11/21 n°1028).



4.- Certes, l'approche consacrée par la jurisprudence SCI Royot et SCI La Haie de Roses déroge par hypothèse à l'imposition du bâti et on comprend dès lors qu'elle ait vocation à rester exceptionnelle.


Pour autant, l'extrême sévérité dont le Conseil d'État a fait preuve immédiatement après la consécration de cette jurisprudence laisse perplexe, à tel point que l'on pourrait même regretter que la décision de 1907, source d'un contentieux fourni, ait été ravivée.



 

Extraits du jugement n°1701496/1710131 :

"Les bâtiments (...) ont fait l’objet d’une restructuration (...) La superficie totale des planchers de l’ensemble immobilier a augmenté de (...) 13,5%, ce qui ne traduit pas une modification substantielle du volume ou de la surface des bâtiments pris dans leur ensemble. S’il résulte également de l’instruction, que les travaux de gros œuvre ont conduit notamment à la destruction de 3 470 m² de plancher (...) et à la construction d’un 7ème étage d’une superficie totale de 4 837 m² (...), les constats d’huissiers (...) établissent que des aménagements provisoires de chantiers pourvus de sanitaires, de vestiaires et de réfectoires et que des bureaux témoins ont été installés au cœur des travaux, démontrant ainsi que les bâtiments n’étaient pas impropres à toute utilisation. Par suite, la société (...) n’est pas fondée à soutenir que les travaux ont affecté le gros œuvre d’une manière telle qu’ils auraient rendu l’ensemble immobilier impropre à toute utilisation et, donc, que c’est à tort que l’administration fiscale a estimé qu’elle devait être assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties".





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